Krazy Kat est un comic strip américain créé par George Herriman et publié dans les journaux du pays, en semaine et le week-end, entre 1913 et 1944.
Sa première publication eut lieu dans le "New York Evening Journal" de William Randolph Hearst. La série mêle nonsense, poésie et insouciance enjouée, ce qui en a fait l'une des bandes dessinées préférées des passionnés et des critiques depuis plus de 80 ans.
Les strips sont centrés sur une relation triangulaire entre son personnage éponyme, un chat innocent et désinvolte de sexe indéterminé, son antagoniste Ignatz Mouse, et le Sergent Pupp (Officer Pupp), officier de police.
Krazy est transi d'amour pour Ignatz mais celui-ci le méprise, et passe son temps à chercher à lui lancer une brique à la tête, ce que Krazy interprète comme une preuve d'amour. Pupp, en tant que garant de l'ordre de la région de Coconino, fait tout pour empêcher Ignatz d'arriver à son but et enferme bien souvent la souris en prison. Quant à Ignatz, elle est reconnue pour lancer des briques à Kat.
En dépit de la simplicité de l'intrigue, du dessin peu détaillé des personnages, la richesse de l'œuvre, à laquelle s'ajoute la grande créativité verbale et visuelle d'Herriman, font de Krazy Kat l'une des premières bandes dessinées à avoir été considérée comme de l'art à part entière par les intellectuels.
Gilbert Seldes, célèbre critique d'art de l'époque, écrivit en 1924 un long panégyrique de la bande, la qualifiant de "travail artistique le plus amusant, fantastique et satisfaisant de l'Amérique contemporaine". Le poète renommé E. E. Cummings, autre admirateur de George Herriman, écrivit l'introduction du premier album de Krazy Kat. Plus récemment, beaucoup de scénaristes et dessinateurs constatent que le strip a eu une influence majeure sur leurs œuvres.
L'idée de "Krazy Kat" se développa à partir d'un autre comic strip d'Herriman, "The Dingbat Family", qui avait débuté en 1910. L'auteur remplissait le bas des pages de cette série avec des gags slapstick sur les aventures d'un chat et d'une souris. Ce strip de bas de page finit par devenir plus important que la bande dessinée sous laquelle il était né. Krazy Kat devint un comic strip quotidien possédant son propre titre (qui était présenté verticalement sur le côté de la page) le 28 octobre 1913 puis eut également droit à sa page du dimanche, en noir et blanc, à partir du 23 avril 1916.
À la suite des protestations des éditeurs qui ne trouvaient pas que la série convenait à la rubrique "bandes dessinées", Krazy Kat apparaissait, dans les journaux de Hearst, sous celle d'"Art et théâtre". Cependant, Hearst lui-même aimait tant la série qu'il fit signer à Herriman un contrat à vie tout en lui garantissant une totale liberté de création.
Malgré son faible succès auprès du grand public, Krazy Kat était très suivi par les intellectuels. En 1922, un ballet jazz inspiré de la série fut produit et mis en musique par John Alden Carpenter, avec une chorégraphie d'Adolphe Bolm et des décors et costumes de Herriman. Bien que le spectacle fût joué à guichets fermés, il ne permit pas à la bande dessinée de gagner en popularité, contrairement à ce que Hearst avait espéré!
En plus de Seldes et Cummings, on trouvait parmi les contemporains admirateurs de Krazy Kat Willem de Kooning, H. L. Mencken, et Jack Kerouac. Des chercheurs plus récents ont vu dans cette bande dessinée un précurseur de Dada ou du Postmodernisme.
La publication en album couleur des planches du dimanche débuta en 1935. Bien que le nombre de journaux à publier Krazy Kat décrût après cette date, Herriman continua à animer ses personnages (créant ainsi près de 3000 planches) jusqu'à sa mort en 1944. Hearst refusa qu'un autre auteur prenne la suite de la série, contrairement aux usages du temps, car il la savait intimement liée à son créateur.
En son temps, la série de Herriman ne rencontre pas un très grand succès : beaucoup de lecteurs sont gênés par son refus iconoclaste de se conformer aux conventions du comic strip qui prescrivent de ne présenter que des gags simples. Mais grâce au magnat de l'édition William Randolph Hearst, qui adore Krazy Kat, elle peut continuer à paraître dans ses journaux, parfois directement sous ses ordres.
Histoire de Kat, en bref...
L'action de Krazy Kat se déroule dans une version hautement stylisée du Comté de Coconino, en Arizona. Herriman décore la page avec des paysages évoquant le Painted Desert qui y est situé, et ces arrière-plans ont tendance à changer comme au théâtre, même lorsque les personnages restent en place. Les passages de récit mêlent une prose enjouée et souvent allitérative avec une sensibilité poétique. Dans ses pages du dimanche, Herriman expérimente des mises en page atypiques (cadres de formes changeantes), afin de mieux servir la narration.
Malgré la simplicité de l'intrigue, Herriman réussit toujours à se renouveler. Parfois, Ignatz atteint son objectif, et sa brique heurte la tête de Krazy. Le plus souvent, le sergent Pupp se montre plus malin que l'astucieuse souris et l'emprisonne. L'intervention d'autres personnages (des habitants du comté de Coconino, eux aussi animaux anthropomorphiques) ou des forces de la nature, donnent de temps à autre une tournure inattendue aux histoires. Dans d'autres strips, les déclarations simplistes de Krazy énervent tant la souris qu'elle va chercher une brique dans la dernière case.
On trouve aussi de l'humour auto-référentiel : dans un strip, le sergent Pupp, après avoir arrêté Ignatz, réprimande le dessinateur pour ne pas avoir fini de dessiner la prison.
Les Personnages, en bref :
Krazy Kat : Un peu simple d'esprit et très curieux, le personnage éponyme de la série vit sa vie nonchalamment dans le comté de Coconino. Il parle dans un argot hautement stylisé (« A fowl konspirissy - is it pussible ? ») évoquant l'anglais, le français, l'espagnol, le yiddish et d'autres langues.
Exprimant son inaltérable bonne humeur en chanson et en danse, Krazy est éperdument amoureux d'Ignatz, et pense que les briques par lesquelles celui-ci répond à cet amour expriment une réciprocité sentimentale.
Krazy n'a aucunement conscience de la féroce rivalité entre Ignatz et le sergent Pupp, et croit que les fréquentes arrestations de la souris par le chien ne sont qu'un innocent jeu de gendarme et voleurs.
Le sexe de Krazy n'est jamais clairement défini. Herriman préfère laisser planer l'ambiguïté, et joue même dessus dans plusieurs strips. Lorsque le cinéaste Frank Capra, afficionado du strip, demanda à Herriman une réponse précise, l'auteur répondit que Krazy était « quelque chose comme un elfe ou un esprit. Ceux-ci n'ont pas de sexe. Donc, Kat ne peut être mâle ni femelle. Krazy est un esprit, un lutin, libre de s'immiscer dans ce qu'il désire. »
Ignatz Mouse : Ignatz s'amuse de la naïveté de Krazy, et rien ne le réjouit plus que de jeter une brique sur la tête du chat. Pour éviter que ses plans ne soient déjoués par le sergent Pupp, toujours vigilant (et toujours suspicieux), Ignatz cache sa brique, se déguise, ou engage d'autres facétieux habitants du comté (sans jamais expliciter ses intentions). L'empressement que met Krazy à le rencontrer n'importe où et n'importe quand afin de recevoir la brique qu'il croit marque d'affection facilite grandement la tâche de la souris.
Le Sergent Pupp (Officer Pupp) : "Bras de la loi et de l'ordre", le sergent Bull Pupp (aussi appelé "Flikard" ou "Serzent", pour traduire "Offissa"), essaie en permanence — en y arrivant parfois — de faire obstacle aux desseins d'Ignatz. Le sergent Pupp et Ignatz se donnent toujours au maximum dans leurs confrontations, même lorsque Krazy n'est pas directement impliqué, car ils adorent voir l'autre passer pour un idiot. L'espèce du sergent n'est pas très précise, on parle parfois d'un bouledogue.
Personnages mineurs : Outre les trois héros, nombre de personnages peuplent le comté de Coconino. "Kolin Kelly", un chien, est briquetier, fournissant Ignatz en projectiles, bien qu'il ne lui fasse pas confiance. Madame "Kwakk Wakk", canard en toque, est une mégère qui observe Ignatz monter ses complots puis le dénonce au sergent. "Joe Stork" (une cigogne), "fournisseur de progéniture aux princes comme aux prolétaires", livre souvent des bébés non désirés à divers personnages (dans un strip, Ignatz essaye de lui faire jeter une brique sur la tête de Krazy depuis le ciel). Quelques autres personnages apparaissent assez fréquemment : "Bum Bill Bee", bourdon de passage ; "Don Kiyote", digne coyote membre de l'aristocratie mexicaine ; "Mock Duck", volaille d'origine chinoise qui ressemble à un coolie et dirige une blanchisserie ; les cousins de Krazy : "Krazy Katbird" et "Krazy Katfish".
Les Éditions de "Krazy Kat"
La toute première édition des strips de Krazy Kat est le fait d'"Henry Holt & Co.", en 1946, deux ans après la mort de George Herriman. Elle reprend 167 daily strips et 136 sunday strips. Cependant, aucune édition complète ne voit le jour avant les années 1980, à cause des problèmes de restauration des images, les journaux d'origine étant souvent abîmés ou introuvables.
Malgré cette fortune critique, Krazy Kat est longtemps resté mal édité. Ce n'est qu'à la fin des années 2000 que, grâce au travail de Fantagraphics, l'intégralité des pages du dimanche est devenue disponible. Les "daily strips" sont toujours non réédités pour la plupart. Dans le monde francophone, Futuropolis a publié quelques volumes dans les années '80, faisant fi des grandes difficultés de traduction de l'œuvre. Les droits de l'édition Fantagraphics ont été achetés en 2009 par Les Rêveurs qui sortent un premier volume ("Krazy Kat 1925-1929") en octobre 2012.
Édition d'Eclipse Comics (1988-1992)
À partir de 1988, "Eclipse Comics" (basé à Forestville, Californie), l'un des principaux éditeurs indépendants de bande dessinée américains des années 1980, réédite en collaboration avec la "Turtle Island Foundation" les "sunday strips" dans l'ordre chronologique. Cette édition reprend les planches du dimanche dans leur ordre de parution à raison d'un volume par année. Chaque volume est, sauf précision, introduit et conclu par Bill Blackbeard. À la suite des difficultés financières d'Eclipse, la publication cesse début 1992.
Fantagraphics, sunday strips (2002-2011)
Depuis 2002, Fantagraphics (basé à Seattle) a repris, sous le titre "The Komplete Kat Komics", l'édition des "planches dominicales" dans la continuité de l'édition Eclipse, cette fois sous la forme de volumes de 120 pages comprenant deux années. La direction éditoriale en est confiée à Bill Blackbeard, qui s'occupait déjà de l'édition Eclipse, tandis que la direction graphique échoit à Chris Ware.
Après avoir réédité les années 1925 à 1944 en dix volumes, Fantagraphics s'est lancé en 2010 dans la réédition des années 1916-1924, en trois volumes de 176 pages comprenant chacun trois années.
Chacun de ces ouvrages reprend dans un grand format les planches du dimanche dans leur ordre de parution, encadrées d'un appareil critique développé, couvrant les multiples facettes de l'œuvre majeure de Herriman, ainsi que de nombreuses illustrations, photographies et planches annexes peu connues. Chaque volumes se termine par "The Ignatz Mouse Debaffler Page", une à trois pages de notes explicatives, loin d'être exhaustives.
En 2011, on voit paraitre une restauration magnifique du "Krazy + Igatz" édité par Craig Yoe
En 2011, on voit paraitre une restauration magnifique du "Krazy + Igatz" édité par Craig Yoe
Les Éditions en langue française
La série n'est publiée qu'à partir de 1965 en Europe (dans Linus, magazine italien) et de 1970 en France (dans Charlie Mensuel). Le premier album, une sélection de planches du dimanche et de strips quotidiens, est publié par Futuropolis en 1981, puis un autre en 1985 et la traduction du premier volume de Kitchen Sink Press, en 1990. Les problèmes de Futuropolis font ensuite cesser cette publication.
Le critique des Cahiers de la bande dessinée Jean-Pierre Tamine estime en 1984 que ce relatif insuccès est dû au manque de goût des lecteurs et éditeurs français d'alors pour « la manière “dirty” », au cartésianisme latent du public qui s'accommode mal du nonsense de l'œuvre et à l'absence d'ancrage dans un genre précis. Publier Krazy Kat en français présente de plus une difficulté particulière à une époque où aucun éditeur américain n'a encore réédité toutes les bandes. De plus, la traduction est complexe, en particulier pour la langue étrange parlée par Krazy, sur laquelle reposent de nombreux strips.
En août 2009, Manu Larcenet annonce sur son blog que les éditions des Rêveurs ont acquis les droits de traduction de l'édition Fantagraphics. Cette nouvelle édition française devrait reprendre en quatre volumes vingt années de sunday strips. En 2011, Jean-Louis Gauthey annonce que la traduction de ces pages est confiée à Marc Voline.
Les Rêveurs publient le premier volume de la traduction française, Krazy Kat, Planches du dimanche 1925-1929 en octobre 2012. La qualité de cette édition lui vaut le Prix du patrimoine au festival d'Angoulême 2013. Le second volume, couvrant les années 1930 à 1934, paraît un an plus tard.
Liste des albums en français :
- "Krazy Kat", Futuropolis, 1981. Bandes quotidiennes de 1937-1938 et sélection de planches du dimanche de 1922 à 1943.
- "Krazy Kat 1921-1931", Futuropolis, 1985. Tiré à 2500 exemplaires.
- "L'Intégrale en couleurs de Krazy Kat", Futuropolis
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